lundi 11 janvier 2016

Dom Jacques Boyer

J'ai lu pour vous le Journal de voyage de Dom Jacques Boyer  que vous pouvez consulter dans son entier sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, et vers lequel je vous inviterai à de nombreuses lectures ciblées.






Pourquoi : parce qu'il s'agit d'un journal d'un moine bénédictin de la congrégation de St Maur qui est passé par Lavaudieu et ses environs et qui a logé à l'abbaye.
Ces moines mauristes étaient chargés  d'étudier  l'histoire ecclésiastique  et Dom Jacques Boyer a contribué en ce qui le concerne  à l'ouvrage Gallia Christiana, histoire des "Pères de l'Eglise ".


Dom Jacques Boyer est né au Puy le 7 mars 1672 (il est décédé le 9 septembre 1738 à l'âge de 66 ans). Lorsqu'il fit ces voyages en Auvergne il était dans la force de l'âge - il avait entre 38 à 40 ans - , ce qui était bien nécessaire car pour remplir sa mission, Dom Jacques Boyer se déplace à cheval et il est même amené à acheter  sa monture par exemple une  jument en mai 1712. Ses déplacements sont le plus souvent quotidiens et courts  de 10 à 20 kilomètres ou plus longs comme par exemple le jour où  il déplace de la Chaise Dieu au Puy pour une bien cruelle journée, car il neigeait. Le plus souvent  il est accompagné d'un valet, ou seul, ou parfois guidé par des ecclésiastiques locaux. Ses conditions de voyage sont parfois difficiles à cause  de la neige, nous l'avons vu, mais aussi de la pluie et des inondations. C'est ainsi que le 8 novembre 1710 il décrit dans le détail son itinéraire pour éviter les débordements de l'Allier  et  de la Senouire,  en passant par les hauteurs : Orsonettes, Auzat, La Mothe-Canillac, Fontannes, La Bajasse, Vieille Brioude. Il lui arrive de faire des chutes comme celle du 16 novembre 1710  où son cheval s'abattit au milieu d'une petite rivière, et de faire des rencontres peu amènes comme celles du 1er avril 1711 où il croise deux hommes roués et un pendu.


En ce qui concerne ses déplacements en Auvergne Dom Jacques Boyer se déplace dans une région qui lui est familière, rencontre des personnes connues, et de sa propre famille.



Dom Jacques Boyer dont c'est la mission  consulte les archives  ecclésiastiques, les vérifie et les range, recense les anciens religieux et religieuses, - c'est ainsi qu'il  établit à la Chaise Dieu la liste des abbés  depuis St Robert - ,donne des conseils sur la tenue des registres, prend des notes, copie les titres de fondation des monastères les citations et inscriptions, fait l'inventaire des biens, repère et dessine reliques et tombeaux remarquables. Cela l'occupe certains jours pour un temps variable, parfois quelques heures l'après midi, parfois depuis le matin très tôt jusqu'à midi, entrecoupé de services religieux et de repas et de collations.


Sa pratique religieuse est bien sûr présente chaque jour. Il dit la messe, grand-messe, messe votive, mâtines, messe des ténèbres, ou la sert, comme diacre, sous-diacre, assiste au vêpres, laudes, nones, primes, méditations, prêches, salut, fait procession...


C'est l'occasion pour lui de citer le nombreux et hiérarchisé personnel ecclésiastique : évêque, vicaire, grand vicaire, vicaire général, diacre, sous-diacre, archidiacre, chanoine, aumônier, abbé, curé, chantre, sous chantre, prieur, prieur claustral, sous prieur, prêtre, archiprêtre, abbé, abbesse, novice, postulant, pensionnaire... et j'en oublie. Je vous invite sur le site Gallica  à faire vous même la recherche par mots clés des occurrences qui vous intéressent. 

Il décrit également l'habillement des ecclésiastiques : aubes, soutanes , étoles - simples, pendantes ou croisées -, manipules, chasubles, chapes ... 

Dom Jacques Boyer donne également des conseils sur la bonne pratique religieuse, comme par exemple à une Abbesse dans les difficultés qu'elle rencontre pour bien respecter le vœu de pauvreté (il est vrai que lorsque l'on est logé, nourri,chauffé, blanchi et servi cela devient difficile et l'on peut considérer que nos SDF sont des saints !). Il cite des signes de piété  et les impératifs pour être excellent religieux: être assidu à la pratique religieuse , ne pas manger de poisson et boire trop de vin pendant le carême.


Dom Jacques Boyer est un bon vivant et les repas tiennent une place centrale. Ils se prennent souvent en bonne compagnie et sont variés. Collation du matin ou du soir, dîner qui correspond au repas du midi, souper le soir, café souvent accompagné de liqueurs, rythment l'activité de notre bénédictin. Le moine est l'invité d'honneur : il est reçu magnifiquementroyalement, on lui fait mille honnêtetés et bonne chère, les mets sont nombreux de même que les invités, le vin est excellent ...Il est souvent incommodé, apparemment suite à des repas trop copieux , et souffre de la goutte.


Voilà le contexte de la vie  quotidienne du moine, mais voyons comment elle s'est passée à Lavaudieu (ou tout à côté) puisque c'est l'objet principal de ce blog.



L'abbaye vue de la Senouire


Le 29 et 30 septembre 1710  il est à Lavaudieu où il rencontre des religieuses dont Eléonore d'Angennes, Prieure. Le 3 octobre , c'est  M. du Crozet, seigneur de Cumignac près de Javaugues, qui a quatre de ses filles sur ses treize enfants religieuses à Lavaudieu, ce qui montre le déterminisme social et religieux de ce que l'on appelle les vocations. (Je vous mets également le lien vers ce passage . Vous lirez aussi que sept autres religieuses de Lavaudieu sont de la même famille : soeurs, tantes , nièces...) . Le 4 octobre il compose à la demande de la prieure de Lavaudieu et des religieuses des vers  pour être dits devant une assemblée à Brioude. Ce sont des compliments en  alexandrins qui vantent "la pureté du sang" d'une religieuse : 


Issue comme lui du pur sang d'Estaing
De cet illustre sang dont on forme les saints

vers qu'il juge lui-même pas excellents, mais charmants par une assemblée qui tient salon : tout passe quand cela est dit par une jeune personne ! (Dom Jacques Boyer était coutumier de ce genre de vers comme ceux de cette ode qui étaient  autant d’interminables flatteries)

Évoquons le deuxième voyage : le 31 décembre 1711, il couche à Brioude et du 1er au 3 janvier 1712 il est à Lavaudieu, à Vieille-Brioude et à Brioude: il assiste à un sermon qui est applaudi  (c'est chose courante et les sermons font le plus souvent l'éloge de la société, de l'église et du pouvoir royal). Puis ce sont des repas : une collation splendide, un souper avec un ancêtre Lazinier qui était juge à Lavaudieu. Le 2 il est régalé splendidement, puis fait collation chez notre ancêtre, et couche à l'Abbaye. Le 4 il est incommodé, et l'on peut penser que c'est suite à tous ces repas copieux, puisqu’on lui cite un poème pompeux en latin mais dont il n'est pas nécessaire de connaître la langue pour en comprendre le sens et qui évoque diverses manifestations intestinales :

Stabat odoriferi merdoso in limine culi
Vessa furens, putidae certissima nuntis merdae

De même, par association d'idée, il pense à une inscription apposée facétieusement aux portes de Montferrand :

Rustica sum, porcis florens et florida merdis 

Dom Jacques Boyer était un bon moine scatologue !

Dom Jacques Boyer se montre peu impliqué et indifférent à  son environnement hors sa sphère d'intérêt : s'il parle des pauvres, c'est pour souligner que les gens d'église leur font la charité, des domestiques c'est pour les désagréments qu'apportent le personnel au service des religieux. Ainsi il cite un incendie dans les appartements des valets d'une abbaye dû à une imprudence d'un marmiton, ou le fait d'avoir échappé à un éboulement dans une cuisine  pendant le travail de maçons, mais le brave moine mentionne qu'heureusement il avait mangé avant.

On constate l'extrême maillage des lieux religieux, ainsi Dom Jacques Boyer se déplace de place en place dans une paroisse, un monastère ou un couvent ou il est reçu. Le nombre de religieux est pléthorique, sa structure très hiérarchisée. On constate combien la religion est partie intégrante  du pouvoir royal et de son système: il s'agit bien d'une religion d'état .


Tout cela m'amène à quelques réflexions. La première immédiate est celle des paroles de la chanson populaire, même s'il n'est pas question ici de Jeanneton : " si c'est cela la vie que tous les moines font " ...

Mais plus sérieusement, quelle routine quotidienne, quelle manque d'imagination et de créativité dans cette société privilégiée, centrée sur elle-même, narcissique, bien nourrie, logée et servie. Elle est reproductrice de ses règles et de son mode de vie, sans pratiquement aucun regard et isolée de l'activité économique et laborieuse qui l'entoure. Et pourtant, les conditions étaient âpres, difficiles et dangereuses pour une espérance de vie en moyenne inférieure à trente ans à cette époque.

Je pense également à Molière qui effectivement, à ce compte là, ne devait pas avoir grand mal à trouver ses thèmes de comédies. 

La dernière et pour clore, est que quelques décennies plus tard arrivait la Révolution française, et ce que l'on peut observer un temps avec humour pour certains, soumission et fatalité pour d'autres, devient source d'exaspération et de révolte.


Joël Lahaye