dimanche 10 avril 2016

Le Christ de Lavaudieu : une œuvre majeure de l'art roman

Voici contée une histoire étonnante qui n'a peut être pas encore connu sa fin ...


L'église de Lavaudieu vue du deuxième étage du logis abbatial
Dans l'église de Lavaudieu se trouve fixée à un pilier dans une curieuse et plutôt laide cage en verre avec armature de laiton une sculpture de tête de Christ réalisée par Simone Bouchet, artiste locale .



L'œuvre originale  haute de 34 cm  se trouve exposée au  musée du Louvre qui l'a acquise en 1918.


Photos Musée du Louvre, vues de face et de trois quart



" The Cloisters ", annexe du Metropolitan Museum de New York possède quant à lui depuis 1925 un corps de Christ acéphale. Ce torse est haut de 109,2 cm.

Photo du torse exposé au Musée des Cloîtres de New York



Cette tête et ce torse du Christ  comme provenant de Lavaudieu et de la  même œuvre de l'art roman auvergnat a été longtemps discutée.
Pourtant, déjà pour  Georges Paul en 1965 dans son ouvrage" La Vaudieu " ( cet ouvrage se trouve d'occasion sur certains sites internet ), et s'appuyant sur un article d'Ulysse Rouchon  (Journal des débats, 9 novembre 1927 ) il n'existait aucun doute : cette tête et ce corps du Christ sont bien deux parties d'un même ensemble. D'autres articles nombreux et souvent journalistiques sont également parus comme celui d'Olivier Cena dans le Télérama du 19 avril 2012 . Il nous offre un gentil récit imaginatif, bucolique, mais erroné. Vous en jugerez par vous même en confrontant l'article de ce journal à ce qui suit. La tradition orale locale fait état également de récits souvent fantaisistes.
Une publication toute récente, étude  conjointe au Metropolitan Museum, au musée du Louvre, aux services du patrimoine, et au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France -  le C2MRF - parue dans   "TECHNE, N° 39, 2014" -  intitulée :  " Un christ roman auvergnat retrouve son unité grâce à l'étude de la polychromie" ne laisse pratiquement aucun doute : tête du Louvre et torse du musée de New York sont deux pièces d'un même crucifix représentant un Christ encore vivant. Elle nous dit :  " L'étude approfondie de la structure et surtout de la polychromie des deux éléments semble lever définitivement le doute en faveur de l'homogénéité de l'ensemble ".

En nous appuyant sur ces diverses sources voici l'histoire reconstituée du Christ de Lavaudieu.

L'ensemble  à l'origine imposant, d'une hauteur d' environ 2,20 m, sculpté dans du bois de peuplier, date du milieu du XIIe siècle.
Le corps incurvé vers la gauche laisse penser à une déposition du christ en croix - donc mort-, alors que la tête représente  un personnage encore vivant aux yeux ouverts  et aux lèvres entrouvertes : c'est une des raisons qui ont fait penser que tête et corps n'appartenaient pas à la même œuvre, mais l'étude du TECHNE démontre que cet argument n'est peut être pas suffisant , car d'autres Christs en croix d'Auvergne présentent une inclination de la taille vers la gauche comme celui de Lavaudieu. Par contre l'étude de la polychromie et le dispositif d'assemblage de la tête au corps par tenon et chevilles dont les emplacements sont présents, confirment sans contestation l'hypothèse de deux éléments d'un même ensemble.
Ce grand Christ en peuplier polychrome fut vénéré par les religieuses. Il est dit qu'au XVIe siècle les protestants le décapitèrent, qu'il fut abandonné dans un coin puis retrouvé et à nouveau adoré. Il lui est prêté de tous temps des pouvoirs magiques ,des possibilités d'envoûtements, la réalisation des vœux et des prières, des miracles... Autant de signes excessifs et caractéristiques liés à  une adoration d'une représentation divine. Mais de tout cela, il n'existe d'ailleurs aucun témoignage écrit...
Rien n'indique l'endroit ou était exposé ce Christ dans l'abbaye mais à la révolution, les biens des religieuses ont été dispersés et vendus et le Christ était dans le lot. Nul ne sait où s'est retrouvé ce Christ en croix, jusqu'au jour où, vers 1905, un antiquaire du Puy en Velay   nommé Auguste Sahy le découvrit tête et torse ensemble si l'on suit l'avis d' Ulysse Rouchon contrairement à ce qui est parfois écrit et dit,  perché dans un cerisier faisant office d'épouvantail. Il l'acheta aux trois propriétaires déclarés mais vendit séparément la tête et le torse : la tête au couturier et collectionneur Jacques Doucet, qui en fit don au Louvre en 1918. Le torse quant à lui arriva en 1925, après d'autres péripéties et  antiquaires finalement à New York par l'intermédiaire du collectionneur et sculpteur George Grey Barnard .

 La prosaïque utilité, l'utilisation sacrilège de l'œuvre, la cupidité des propriétaires et des antiquaires successifs ont  donc permis sa conservation !
Nous ferons quand même une  plaisanterie : pour se faire deux sous,  il a existé des "tontons flingueurs" qui ont dispersé les œuvres d'art locales "façon puzzle". Victimes de cette pratique  d'autres éléments architecturaux à Lavaudieu ont subi le même sort, et cela a failli pour d'autres encore, nous y reviendrons dans une  publication à venir.
Ce Christ est éloigné des stéréotypes habituels  : il faut penser à l'artiste, à son modèle et au choix de la représentation d'un Christ vivant et expressif  qui élèvent cette sculpture, au delà du religieux, au niveau d'une œuvre d'art à la portée universelle.
Mais de nos jours  le visiteur désireux de contempler cette œuvre  doit faire don d'ubiquité. Peut-on espérer que tête et tronc soient de nouveau réunis ?
A Lavaudieu cela va de soi !


Joël Lahaye


Tête et torse réunis dans ce photomontage